Paysages intérieurs
Caroline Antoine, Pascal Brateau, Aurélie Pertusot
7 septembre - 23 septembre 2018
« Nous construisons comme nous écrivons : pour garder à l’esprit ce qui compte pour nous », écrit Alain de Botton dans L’architecture du bonheur.
« Une maison, c’est une manière d’être, un mode de comportement. » explique également Benoit Goetz dans La théorie des maisons.
L’architecture de la Douëra, maison de style d’inspiration mozarabe, constitue le point de départ d’une réflexion sur l’ailleurs, sur le désir de créer son habitat, son monde à son image.
Pourquoi construisons-nous tel ou tel type d’habitat ?
De quelle manière notre espace de vie influence nos actes, nous permettant de nous sentir en osmose avec le monde ?
Comment l’architecture peut être source de dépaysement ?
Construire notre chez-soi est un acte créatif. La maison est le lieu qui nous ressemble, elle reflète notre identité. C’est également un endroit où l’on a plaisir à retourner, où des souvenirs resurgissent.
Si le paysage se définit par l’expérience esthétique qu’on en fait, il est aussi un espace mental, de réflexion et d’imagination.
Cette exposition convoque la notion de « paysages intérieurs », ces espaces vécus qu’on garde en mémoire et avec lesquels on grandit, ces lieux où l’on projette ses désirs. Et, nous cherchons à faire rentrer le paysage à l’intérieur de la maison pour être en harmonie avec la nature.
Caroline Antoine, Pascal Brateau et Aurélie Pertusot interrogent la relation de l’individu à l’habitat, à l’architecture et au paysage. Leurs œuvres, dessins, sculptures, installations, répondent à l’architecture de la Douëra, cette maison aux décors inattendus qui conduit à un voyage immobile.
Caroline Antoine met en lumière, au travers de ses œuvres, les relations profondes entre l’homme et la nature, les rites, les histoires et les symboles qui s’y rattachent. Dans son triptyque de dessins Faim du monde, le corps, en lévitation, entre en résonance avec la nature, cherchant à être au plus proche d'elle dans un lien sacré. Les lignes et les signes de diverses factures traduisent cette tentative de fusion, de la protection à l’élévation jusqu’à une renaissance. D’autres sérigraphies ponctuent les murs de la grande salle et présentent chacune une osmose entre l’être humain et la nature avec laquelle il se sent protégé. Dans le salon persan, ses sculptures en grès présentent des figures qui semblent sortir, naître de la terre. Elles suggèrent l’énergie qui circule de la terre au corps humain, un souffle de vie. Corps et paysages semblent se confondre. Dans une autre salle, ses petites compositions, Union, réalisées à partir d’éléments naturels trouvés et assemblés avec de la cire d’abeille, évoquent ce même lien. Les végétaux sont fixés, figés dans un état donné, comme réparés. Ces constructions témoignent d’un désir de reprendre contact avec le vivant et de vivre l’instant présent, en osmose avec l’environnement. Elles rappellent également le plaisir qu'on peut avoir à jouer avec des matières naturelles et à construire son petit monde, son « paysage intérieur ». Caroline Antoine a composé ici un lieu de méditation, d’attention à la nature.
Pascal Brateau s’intéresse aux fondements de la maison, à ses symboles et à ses différentes images. Il déploie sa forme archétypale, la décline sous différentes échelles pour sonder les liens entre intérieur et extérieur, entre soi et les autres, entre le paysage et l'intime, entre la réalité et la réflexion. Il construit, très souvent dans une situation précise, l'image d'une maison, impraticable et absurde, pourtant relativement proche de l'idée qu'on pourrait s'en faire. Ses œuvres réalisées à l’aide d’un seul matériau accumulé, mettent aussi en lumière la ville comme un empilement d’espaces. Zwischen Himmel und Erde, immense maquette d’une construction, en arrêtes de bois, met en tension l’intérieur et l’extérieur. Cette pièce fait écho au désir de pouvoir rêver à un ailleurs. Glassnost, superposition de plaques de verre démultipliées, suggère une contradiction entre la volonté d’une maison transparente ouverte sur l’extérieur et le désir de se sentir chez soi, protégé, enfermé. Avec Récit-pro-cité, l’artiste propose également une réflexion sur nos manières d’envisager l’architecture. Le livre, source, est ici à la fois un toit, une protection et un objet fragile, qui s’enfonce dans une structure. Cette pièce témoigne de l’influence des architectes et de l’appui de théories, pour concevoir des maisons. Objet de pensées, elle propose de multiples façons de la lire.
Aurélie Pertusot travaille à partir du paysage urbain ou naturel et souligne, par ses installations, souvent à l’aide de fils, l’architecture. Celles-ci rendent visibles l’invisible et audibles l’inaudible. Ses œuvres créent des ponctuations visuelles, comme un fil rouge qui guide notre regard vers les différentes salles investies. Ô coin se fond dans un angle d’une pièce et révèle cet espace que nous ne regardons habituellement pas. Cette sculpture en béton comble un vide tout en soulignant cet endroit. a + b, deux boules en ciment reliées par un élastique rouge, dessine une ligne dans l’espace : limite imaginaire qui laisse une trace. On ne sait si on peut ou pas la franchir. Elle symbolise une mise en tension et l’interdépendance entre les êtres. Des dessins montrent une série de formes colorées, qui suivent des lignes, en rythme, du haut vers le bas, telle une possible partition. La feuille quadrillée constitue un autre espace de promenade pour l’artiste. La ville visible réalisée avec Pascal Brateau propose un dispositif de regard d’un dessin d’une skyline qui se répète à l’infini : traduction d’une ville, dense, marquée par ses flux, sans fin. Un nouveau monde, un dédale se développe au travers de cette œuvre. Pour cette artiste, le son fait remonter à la surface des souvenirs. Son installation sonore présente un jeu de bruits de fond avec des objets, tels qu'ils s'animeraient tout seuls, vivants. La Douëra semble alors être hantée par une certaine présence fantomatique.
Ainsi, les œuvres de ces artistes dialoguent avec cette bâtisse et proposent des jeux de mise en abîme d’espaces, à la fois intérieur et extérieur. À travers cette exposition, se découvre le lien ténu entre le lieu vécu, habité et le lieu projeté, rêvé. D’une demeure au décor fascinant, entre occident et orient, où règne l’esprit de celui qui y a vécu, émergent des réflexions sur les manières de concevoir la maison et d’en faire son monde à soi.
Pauline Lisowski
Alain de Botton, L’architecture du bonheur, Le Livre de Poche, 2009, p. 152